L’obtention d’une indemnisation intégrale est soumise à la démonstration d’une responsabilité qui suppose elle-même l’existence d’une faute ayant causé de manière certaine le dommage.
Ainsi, lorsqu’il existe une incertitude sur les conséquences du fait dommageable, en principe, aucune responsabilité ne saurait être engagée et aucune indemnisation ne pourrait être octroyée.
C’est dans cette hypothèse qu’intervient la notion de perte de chance.
Elle permet, en effet, de pallier les difficultés de preuve de la causalité d’erreurs qui peut être délicate à rapporter.
Cette notion trouve une résonnance particulière en matière de responsabilité médicale et spécifiquement en matière de gynéco-obstétrique dans laquelle on y trouve une application abondante.
LA NOTION DE PERTE DE CHANCE
- La définition de la perte de chance :
La notion de perte de chance est à mi-chemin entre préjudice futur et certain (réparable) et préjudice éventuel (non réparable).
Elle n’est pas définie par la loi.
Il s’agit d’une création prétorienne en vue de pallier les difficultés liées à la démonstration de la preuve de la causalité entre faute et dommage.
Au terme d’une jurisprudence constante, « seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Cass. Civ. 2e., 7 nov. 2013, no 12-27.946 ; Cass. Civ. 1re, 14 mai 2009, no 08-15.335 ; Cass. Civ. 1re, 4 juin 2007, no 05-20.213)
La notion de perte de chance est donc consubstantielle de la notion d’aléa.
Elle n’ouvre à droit à réparation qu’à hauteur de la seule fraction de la perte de chance. (ex. : si le taux de perte de chance est fixé à 30%, la victime pourra obtenir 30% de l’indemnisation de son préjudice total).
- Le domaine d’application de la perte de chance :
La perte de chance est une notion à vocation indemnitaire.
Elle est inconnue du droit pénal : l’auteur d’une faute pénale ne peut voir sa responsabilité pénale engagée si le lien de causalité entre la faute et le dommage n’est pas certain. (Cass. Crim., 3 nov. 2010, n° 09-87.375)
En matière de dommage corporel, on retrouve cette notion dans la définition de certains préjudices :
- Incidence professionnelle : perte de chance professionnelle ;
- Préjudice d’établissement : constitué par la perte d’une chance de se marier, de fonder une famille, d’élever des enfants.
En matière de responsabilité médicale, la notion de perte de chance a été reconnue tant par les juridictions administratives que judiciaires dans les années 60. (CE, 24 avr. 1964, Hôpital-Hospices de Voiron, rec. p. 259 ; Cass. Civ. 1re, 14 décembre 1965, Bull. Civ. I, n° 707).
Elle concerne l’hypothèse dans laquelle la prise en charge ou le traitement d’un patient (…) a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation. (CE, 18 mars 2019, n° 417635)
LE REGIME DE LA PERTE DE CHANCE
- Le fait générateur de la perte de chance :
La violation du devoir d’information :
La notion est classiquement rattachée à la violation par le praticien de son devoir d’information.
En matière de gynéco-obstétrique particulièrement, la jurisprudence a précisé qu’un événement naturel ne dispense pas le professionnel de santé de son devoir d’information, dont la violation entraîne l’engagement de sa responsabilité (Cass. Civ. 1re, 23 janv. 2019, n° 18-10706)
Par ailleurs, la loi a prévu des cas dans lesquels le devoir d’information est tout particulièrement encadré.
Ainsi, en matière de ligature des trompes, l’article L2123-1 du Code de la santé publique impose :
- une information claire et complète sur ses conséquences ;
- le respect d’un délai de réflexion de 4 mois entre la première consultation médicale et l’intervention ;
- une confirmation écrite de la patiente de subir cette intervention.
Le délai de réflexion de 4 mois a pour rôle de permettre à la patiente de délivrer un consentement libre et éclairé sur une intervention ayant un caractère irréversible.
La seule violation du délai de réflexion de 4 mois entraîne la responsabilité du gynécologue qui pratique l’intervention et permettre l’indemnisation des préjudices suivants :
- Perte de chance de renoncer à l’intervention chirurgicale ;
- Préjudice spécifique de stérilité ;
- Préjudice moral.
L’erreur de diagnostic :
La perte de chance résultant d’une erreur de diagnostic a été particulièrement mise sur le devant de la scène avec la fameuse affaire « PERRUCHE » dans laquelle la Cour de Cassation a admis qu’un enfant soit indemnisé en raison d’un handicap consécutif à une atteinte rubéoleuse anténatale en retenant une faute consistant en une erreur de diagnostic de la séroconversion de la mère en début de grossesse alors que celle-ci avait annoncé recourir à une IVG dans un tel cas. (Cass. Ass. Plén. 17 novembre 2000, n° 99-13701)
La loi « Kouchner » du 4 mars 2002 appelée également « loi anti-Perruche » est revenue sur cette jurisprudence en introduisant dans le code de l’action sociale et des familles un article L114-5 au terme duquel :
« Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.
Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap.
La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »
Erreurs commises durant l’accouchement :
Classiquement, les erreurs dans la réalisation de certaines manœuvres obstétricales sont des fautes de nature à engager la responsabilité du praticien (sage-femme ; gynéco) ou de l’établissement qui l’emploie.
La difficulté réside dans la détermination des conséquences de cette faute : perte de chance ? réparation intégrale ?
Lorsque le dommage résulte d’un retard pris dans l’extraction de l’enfant ou le mise en œuvre d’une césarienne, la jurisprudence semble pencher pour la perte de chance (CE, 26 mai 2010, n° 306354).
En revanche, lorsqu’il est établi soit que la manœuvre fautive est, de manière certaine, à l’origine du dommage, soit l’indication formelle de procéder par voie de césarienne et non d’accouchement par voie basse, la pleine et entière responsabilité du praticien ou de l’établissement de santé paraît devoir être engagée.
Ainsi, dans un arrêt rendu le 18 mars 2019, le Conseil d’Etat a considéré que le choix de ne pas procéder à une césarienne pour l’accouchement d’une parturiente est de nature à engager la pleine et entière responsabilité du Centre Hospitalier dès lors que le dommage résultant d’une manœuvre obstétricale qui n’aurait été nécessaire en cas de césarienne ne serait jamais survenu en l’absence de la faute commises. (CE, 18 mars 2019, n° 417635)
- L’appréciation de la perte de chance :
La perte de chance est appréciée par voie d’expertise.
Quel que soit le cadre procédural, l’appréciation de la perte de chance est systématiquement inscrite dans la mission d’expertise.
L’Expert doit donc y répondre :
- En évaluant la perte de chance sous forme de pourcentage ;
- En étayant son argumentation sur le fondement de la littérature médicale.
Etant précisé, naturellement, que plus l’évaluation est motivée et fondée sur des données objectives, moins le taux est susceptible d’être contesté.
L’évaluation de la perte de chance est une donnée soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond de sorte que ce dernier peut s’écarter de l’évaluation expertale s’il ne l’estime pas fondée.
En matière de responsabilité médicale, notamment en gynéco-obstétrique, l’appréciation de la perte de chance tant dans son principe que son étendue constituera le « nerf de la guerre » dès lors qu’elle aura un impact immédiat sur l’étendue de l’indemnisation.
Souvent, les expertises présentent les écueils suivants :
- Appréciation même de la notion de perte de chance : il arrive régulièrement que les Experts conclut à une faute à l’origine d’une simple perte de chance alors que manifestement, elle entraîne l’engagement de la pleine et entière responsabilité du praticien et donc une indemnisation intégrale ;
- Appréciation de l’étendue de la perte de chance : les rapports d’expertise sont malheureusement trop souvent peu étayés sur la question donnant l’impression d’une appréciation « au doigt mouillé ». La littérature scientifique est, à cet effet, soit peu, soit mal utilisée.
En présence d’un rapport d’expertise contestable sur l’appréciation de la perte de chance, quelles sont les portes de sortie ? Plusieurs hypothèses se présentent :
- Contester le rapport d’expertise devant le magistrat. Cette solution emporte plusieurs écueils :
- Elle suppose de disposer d’une argumentation solide reposant notamment sur la littérature scientifique mais également l’avis d’un médecin conseil ;
- Les magistrats bien que n’étant pas liés par l’avis de l’expert ont majoritairement tendance à entériner les conclusions de ce dernier.
- Solliciter la tenue d’une contre-expertise. Elle suppose de saisir le juge dans le cadre d’une procédure au fond qui s’inscrit systématiquement dans une durée certaine. Par ailleurs, cette procédure est aléatoire, le juge du fond peut tout é fait considérer que la demande n’est pas justifiée. Enfin, la procédure est coûteuse (nouveaux frais d’huissier en cas de procédure judiciaire ; nouveaux frais d’expertise dont la victime devra faire l’avance … )
- Faire prendre en charge par l’ONIAM tout ce qui ne relève pas de la perte de chance. En effet, l’existence d’une faute médicale imputable à un praticien n’exclut pas la prise en charge par l’ONIAM de l’aléa subsistant (CE, 30 mars 2011, n° 327669 ; CE, 31 déc. 2018, n° 414.615).
Par ex. : le rapport d’expertise conclut à une perte de chance de 30% d’éviter les complications rencontrées. La victime obtiendra une indemnisation de son préjudice à hauteur de 30% au titre de la perte de chance, les 70% peuvent être indemnisés par l’ONIAM au titre de l’aléa thérapeutique si les conditions sont réunies (AIPP > 24% ; ou DFT > 50% / arrêts de travail sur 6 mois consécutifs ou non consécutifs sur une période de 12 mois et c… ).
En cas d’accident médical, compte-tenu de la complexité et de la technicité de la matière, il est nécessaire d’être accompagné d’un avocat spécialisé qui saura valablement informer la victime, déterminer la stratégie la plus adaptée, notamment.
N’hésitez donc pas à consulter le consulter le Cabinet NP Avocats Associés spécialisé dans la défense des victimes de dommage corporel et disposant d’une expertise certaine en matière de responsabilité médicale.